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Notre histoire et le projet pédagogique de notre crèche  « les p’tits loups »                                                                                                                                                

 

 L'ASBL a été créée en 1984 par un directeur d'école secondaire technique et professionnelle. Elle est née du constat qu'une école n'est pas le meilleur outil d'insertion sociale et professionnelle pour les jeunes les plus défavorisés. C'était le début de l'enseignement à horaire réduit.  L'ASBL a voulu, dès le départ, mettre les jeunes en contact direct avec les situations de travail réel : la première formation, destinée surtout aux jeunes hommes,  fut celle du "bâtiment", d'où le nom de "Chantier".  Très rapidement, une formation aux métiers de la "petite enfance" fut mise en place, essentiellement pour les jeunes filles.

La prise de conscience par les pouvoirs publics vis-à-vis de ces jeunes adultes, sortis de l'enseignement sans diplôme ni qualification réelle a permis de percevoir progressivement des subventions publiques et une reconnaissance comme "entreprise d'apprentissage professionnel".

Notre crèche a vu le jour en 1989. Elle est née de la volonté d'offrir aux jeunes mamans stagiaires un lieu d'accueil sécurisant pour leur petit enfant ainsi qu'un outil de formation et d'insertion pour les stagiaires de la filière "petite enfance".

 La finalité d'une EFT est connue.  Celle de notre crèche "les p'tits loups" veut prendre le mal à la racine. La pauvreté et l'exclusion sociale se transmettent de génération en génération. Le fil rouge de notre prjet pédagogique consiste donc à contribuer à "casser" le cercle vicieux de reproduction de l'exclusion en permettant aux jeunes mamans non seulement de se former mais aussi de trouver un lieu d'accueil sécurisant pour leurs jeunes enfants.

Une telle initiative répond aux critères les plus importants, attendus d'une entreprise d'économie sociale : la primauté des personnes et du travail sur le capital, l'autonomie de gestion (nous ne dépendons d'aucun pouvoir public), la finalité de services aux membres les plus fragiles de la communauté plutôt que le profit et un processus de décision démocratique (le personnel, les stagiaires et les parents sont largement associés au bon fonctionnement de la crèche.

Le plaisir de lire et l’exclusion sociale…

 

1. « Chantier » et l'exclusion sociale

 

Depuis sa création en 1984, il y a 25 ans déjà, l'objet social de l'ASBL « Chantier » est la lutte contre l'exclusion sociale.  En proposant à des jeunes adultes, exclus de l'emploi, un parcours de formation professionnelle et de qualification et en accompagnant cette formation « technique » par un encadrement psycho social, « Chantier » a fait oeuvre de pionnier avec quelques autres associations de Wallonie.

 

Avec la collaboration de ces associations, un statut a pu être mis en place par les pouvoirs publics. Cette reconnaissance permet de subsidier cette tâche d'utilité publique : ce fut les entreprises d'apprentissage professionnel (E.A.P.) d'abord., les entreprises de formation par le travail (E.F.T.), actuellement.

 

Il faut bien reconnaître que cette mission de qualification et de formation sociale et professionnelle est une mission « curative ». C'est une mission de « rattrapage » et de « repêchage » social. C'est parce que d'autres institutions sociales ont échoué dans leur mission de base que des jeunes adultes aboutissent chez nous. Si  les associations, comme la nôtre ont autant de travail , c'est parce qu'à l'aune de leur vie d'adultes, nos stagiaires n'ont ni diplôme ni qualification professionnelle. Parfois ils savent à peine lire et/ ou écrire. Pourquoi  en est-on arrivé là ? Que s'est-il donc passé ?

 

2. La faillite de l'école.

 

Il faut bien reconnaître que  dans nos sociétés développées, où la scolarité est obligatoire jusqu'à 18 ans, il y a une part significative de jeunes élèves – environ 10% - qui décrochent totalement de l'école. 

 

L'école, à savoir essentiellement les enseignants, ne sont généralement pas préparés à travailler avec des enfants issus de milieux pauvres, socio – culturellement défavorisés. Il n'est pas question ici de mettre en cause le professionnalisme et la bonne volonté de la majorité des enseignants. Il est question d'exercer un regard critique sur l'évolution de notre société et de prendre conscience que, dans son organisation, l'école est particulièrement défaillante par rapport aux enfants issus des milieux pauvres.

 

En effet, les enseignants ne sont pas toujours formés pour rencontrer des enfants différents du fait de leur appartenance à un milieu social et familial précaire.

 

Ainsi, l'école se révèle malheureusement inapte à rompre le cercle vicieux de la reproduction de la pauvreté de génération en génération. Toutes les études statistiques et sociologiques réalisées à ce sujet montrent, au contraire, que l'école accentue les inégalités entre les enfants. Ceux qui entrent à l'école maternelle en étant favorisés culturellement grâce à leur milieu familial, en sortent avec un diplôme ou une qualification.  Ceux qui y entrent en étant défavorisés culturellement, en sortent sans diplôme ni qualification professionnelle.

A l'égard des pauvres, l'école est totalement contre performante.

 Or nous sommes persuadés qu'elle pourrait toutefois contribuer massivement à la lutte contre l'exclusion sociale si une véritable politique de sensibilisation, de formation et d'accompagnement des enseignants à la lutte contre la pauvreté était mise en place.  L'objectif de cette note n'étant pas de proposer des réformes dans la politique scolaire, je ne m'étendrai pas sur cet aspect de notre politique sociale[1].

 

3. Les causes de l'échec

 

Mais pourquoi certains réussissent-ils à l'école et pourquoi d'autres échouent-ils ?

Il n'est pas possible de répondre à une telle question dans le cadre de cette note. Le lecteur intéressé pourra approfondir l'analyse en lisant notamment la première analyse scientifique et systématique de la question dans un livre célèbre :  « L'échec scolaire n'est pas une fatalité » par le C.R.E.S.A.S. ( Editions Sociales Françaises, Paris, 1982).

 

Mais pour faire court, constatons :

 

* que l'enfant issu d'un milieu pauvre baigne dans un climat culturel très différent de celui de l'école ; l'école, c'est vraiment « un autre monde » ;

* que dès l'école maternelle, l'enfant pauvre ne comprend pas tout ce que l'institutrice explique aux enfants, qu'il développe progressivement et rapidement un complexe d'infériorité, une perte de confiance en soi ;

* qu'il préfère se taire et laisser s'exprimer « ceux qui savent ... »

* qu'il va ainsi décrocher rapidement et entrer dans une spirale de l'échec dont il aura de plus en plus de difficultés à sortir ;

* que son institutrice, issue d'un autre milieu culturel que lui, ne comprend pas pourquoi il ne comprend pas ;

* que l'image que renvoie un tel enfant à son enseignant est une image négative, une image d'un professionnel qui ne parvient pas à réaliser correctement le travail pour lequel il est payé ;

* qu'en effet l'institutrice connaît, en principe, le rôle de l'école maternelle : tenter de compenser les inégalités entre les enfants ;

* que la pauvreté financière n'est pas la plus importante, la pauvreté culturelle est, elle, déterminante.  Ainsi, d'autres différences culturelles au sein de la famille contribuent à la bonne insertion de l'enfant à l'école, comme :

                   -  la place que les parents accordent à l'enfant ;

                   -  le fait que l'on permet ou non à l'enfant de s'exprimer ;

                   -  le fait qu'on lui parle beaucoup ou peu ;

                   -  le fait d'une présence de livres à la maison ;

 

* que le rôle de l'école maternelle serait donc plutôt d'aider chaque enfant à progresser dans les domaines où sa famille est défaillante, c’est à dire fréquemment le langage et sa pratique ;

* qu'il arrive couramment que l'on propose aux parents de ces enfants de rejoindre l'enseignement spécial : « c'est pour le bien de l'enfant, là on aura plus de temps pour s'occuper de lui, les enfants sont moins nombreux par classe, 8 au lieu de 20 » ;

* que ce retard scolaire va se cumuler progressivement d'année en année et va s'accentuer au fur à mesure du parcours primaire, puis secondaire ;

* qu'après quinze voire vingt années de scolarité, ces enfants, devenus adultes, sortent du circuit scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle et se retrouvent, notamment, dans les EFT ou OISP ;

 1]          Le lecteur intéressé par cette question peut se référer aux publications suivantes :  le livre « Mieux comprendre l'exclusion sociale » paru aux Editions L'Harmattan à Paris et l'article - interview « Enseignants : quelle sensibilisation à l'exclusion sociale » paru chez « Vivre ensemble éducation » (www.entraide.be/index.php?id=327) où cette question est largement abordée.

4. Une situation inéluctable ?

 

A « Chantier », lors de notre première expérience de formation au permis de conduire (examen théorique), fin 2007 début 2008, nous avons constaté que 75% des stagiaires ont raté l'examen théorique. Ils avaient suivi 18 séances de 3 heures de formation chez nous : ils connaissaient le code de la route.

Après  avoir rencontré les stagiaires en échec et essayé d'en diagnostiquer les raisons, nous avons constaté qu'ils étaient dus essentiellement à une mauvaise compréhension des questions d'examen. Bref, à une mauvaise maîtrise de la langue française.

 

Cette situation est-elle inéluctable ?

Nous ne le croyons pas.

A « Chantier », nous voulons avancer. Poser notre pierre à l'édifice de la lutte contre l'exclusion. Sans donner de l'argent aux exclus. Mais en partageant notre culture.

Nous avons constaté que nous n'avions pas les moyens financiers de développer avec notre personnel salarié actuel des formations individualisées en lecture et en écriture. Ce type d'apprentissage requiert un suivi individuel.

Nous avons fait le choix de recourir à des volontaires pour nous aider.  Ils sont quatre aujourd'hui. C'est peu. Mais ce n'est qu'un début.

 

Nous voulons avancer parce que nous ne croyons pas que « tout se joue avant six ans » comme l'affirmait  le Dr Fitzhugh Dodson, médecin américain, après la guerre de 1945.

Non, les principaux apprentissages ne doivent pas nécessairement intervenir dans la petite enfance. Tout ce qu'on n'a pas appris avant six ans peut l'être ensuite.

Bien sûr, les enfants qui parlent chez eux une langue pauvre – quelques centaines de mots seulement – auront des obstacles supplémentaires à surmonter.

Mais depuis quelques années, la notion de « résilience » est apparue.

 

5.  Tout peut se jouer aussi après six ans

 

La résilience est la capacité d'une personne à se développer, à se projeter dans l'avenir malgré la rencontre d'événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois sévères.  C'est la capacité à prendre acte de l'événement traumatique pour ne plus vivre dans l'exclusion.

 

Venue des U.S.A., cette notion a été développée en français par l'ethnologue Boris Cyrulnik[1]. Il a développé ce concept à partir de l'observation des survivants des camps de concentration nazis[2]. Il a ensuite travaillé avec des enfants roumains orphelins et des « enfants des rues » de Bolivie.

 

Les professionnels qui ont développé des recherches sur les traits communs des résilients ont constaté :

 

* qu'une bonne relation du bébé à sa mère dans les tout premiers temps facilite la capacité à devenir résilient, c'est-à-dire la certitude d'avoir été aimé nous rend l'espoir de retrouver un autre être qui nous aimera à nouveau. En cas de coup dur, on garde confiance et on accepte plus facilement les mains tendues ;

* que des personnes traumatisées, ayant vécu dans la misère, ayant subi toutes sortes de sévices ou humiliations, étant cataloguées comme « foutues » par leur environnement, parviennent non seulement à résister, à s'adapter, mais réussissent à se bâtir une vie dynamique et satisfaisante ;

* que la plupart du temps, le déclic est dû à une rencontre, une relation humaine vécue très positivement avec une personne. On la dénomme « tuteur de résilience ».

 

 

[1]    Voir ses livres : « Les vilains petits canards », éd. Odile Jacob, 2001, « Un merveilleux malheur », éd. Odile Jacob, 2002 et « Le murmure des fantômes », éd. Odile Jacob, 2005.

[2]    Ses parents ont été gazés à Auschwitz

Devant un tel enjeu, on se pose la question fondamentale : comment donner (ou redonner) le goût de la lecture aux enfants ? Comme lui faire acquérir le plaisir de lire à côté du développement des nouveaux médias : télévision,  SMS, internet,  blogs... ?

 

6. L'enjeu : le développement de la lecture pour enfant

Ceux qui se sont attachés à répondre concrètement à cette question nous disent ceci :

 

* « Il faut, avant tout apprentissage de la lecture, que l'enfant ait découvert qu'il est très agréable de se raconter des histoires. Il faut lui donner le goût d'en entendre, susciter chez lui le désir de savoir la suite, de prendre votre place et de découvrir la fin de l'histoire dans le livre que vous êtes en train de lui lire... »

 

·          « Les adultes sont trop pressés. Ils veulent tout de suite enseigner. Il faut d'abord que l'enfant ait envie d'apprendre. Et cette envie est le signe qu'il est mûr pour le faire. A partir de ce moment, apprendre à lire est une chose excessivement simple... ».

 

·          « Un autre savoir est important à acquérir à l’âge de l’école maternelle : à quoi sert l’écrit dans la société ? Car c’est cela qui motive l’enfant à lire : savoir à quoi cela va lui servir personnellement. En fait, cela lui permettra d’acquérir davantage de libertés : savoir lire un programme de TV permet de choisir tout seul, savoir lire un album évite de recourir à un adulte, savoir écrire offre la possibilité d’envoyer des courriels ou des lettres… Des chercheurs ont montré que les enfants qui ont compris les fonctions de l’écrit dans la société et les avantages qu’ils peuvent en tirer, apprennent très vite à lire et à écrire dès la première primaire »[1].

 

·          « Il faut que l’enfant puisse avoir envie de lire. La plupart des gosses qui éprouvent des difficultés dans leur apprentissage de la lecture ont des problèmes familiaux graves et complexes. Les conditions de vie difficiles de leurs parents se transmettent comme par osmose à leurs enfants.  Ils sont angoissés, vivent refermés dans leur monde. Ils n’ont pas la disponibilité d’esprit nécessaire pour se consacrer à une activité aussi abstraite que l’apprentissage de la lecture. Ils sont noués, bloqués … 

      Car pour l’enfant, lire c’est devenir autonome par rapport à l’adulte. C’est se rapprocher du monde   adulte. Et certains enfants n’ont pas envie de cette autonomie-là. »

 

* « Lire représente une expérience sociale : c’est découvrir les continents, mais aussi le passé, l’esclavage, le racisme, l’holocauste, les guerres et toutes les abominations qu’elles entraînent. Lire, c’est écouter la voix de ceux qui sont au chômage, de ceux atteints du sida, de ceux qui sont dépourvus de famille. Lire c’est comprendre, s’indigner et tenter de déchiffrer ce qui se cache dans l’histoire de l’humanité. C’est penser, malaxer, approcher des situations, des sentiments, toute cette intériorité qui permet aux jeunes de mieux saisir ce qui se passe en eux, autour d’eux, loin d’eux. » [2]

 

·          Enfin « selon des études réalisées à l’école maternelle, des chercheurs ont prouvé que l’apprentissage de la lecture se faisait plus aisément lorsque les élèves avaient fréquenté de nombreux albums. Non seulement la lecture leur a donné le désir de savoir lire, donc l’envie d’apprendre, mais ces lectures leur ont aussi apporté la possibilité d’imaginer. Grâce à ces récits qui ont développé leur imagination, ils savent mieux deviner un mot, émettre une hypothèse, énoncer du sens.  Les enfants qui n’ont pas été sensibilisés aux histoires n’ont pas les mêmes facilités. Ce sont souvent ceux dont les familles n’achètent ni journaux, ni livres et qui n’ont aucune pratique de l’écrit. Ces enfants-là risquent d’accumuler les difficultés. C’est contre ces échecs que des associations, des enseignants et des municipalités luttent afin qu’à tous les petits, à la crèche et à l’école maternelle, de nombreux albums soient lus avec régularité. D’ailleurs, même lorsque l’enfant sait lire, il est souhaitable de continuer à lui dire des histoires, car il faut compter de une à trois années avant qu’il puisse lire avec une aisance totale, celle qui procure un réel plaisir». [3] 


 

[1] d’après « Le plaisir de lire expliqué aux parents », Christian Poslaniec, Editions Retz, Paris, 2006, p 78. Tous les formateurs « petite enfance » de Chantier sont en train de lire ce livre qui a été mis à leur disposition.

[2] D’après « Qui lit petit lit toute sa vie » de Rolande Cause, Editions Albin Michel, Paris, 2005, p.33.

[3] D’après « Qui lit petit lit toute sa vie » opcit  p.25.

7. Une triple raison pour une ASBL comme la nôtre …

 

C’est donc à la fois parce que notre ASBL forme des adultes dont la toute grande majorité ne maîtrise pas bien la lecture et l’écriture, mais aussi parce qu’elle organise des activités para – scolaires avec des enfants de trois à douze ans et enfin, parce qu’elle dispose d’une crèche pour enfants de 0 à 3 ans qu’elle se doit de proposer dorénavant tout un panel d’activités d’animations et de formations autour de la lecture.

 

Pour les enfants de la crèche et des garderies extra – scolaires, nous sommes dans le préventif. Pour nos stagiaires, dans le curatif et dans le préventif.  En effet, nos stagiaires sont en toute grande majorité des parents ou des futurs parents.  Compléter leur formation par une sensibilisation et une formation à la lecture pour enfants contribue à éviter que leurs enfants ne reproduisent les difficultés qu’ils ont eux-mêmes connues.  Il s’agit donc de sensibiliser, de former, d’aider les parents à développer des attitudes et des comportements qui aideront leurs enfants à acquérir le « plaisir de lire », gage d’une réussite scolaire. [1]

                                                                                    Pierre MOREAU

                                                                                     Marchienne au Pont, le 28 août 2009

 

[1] C’est le sens de notre action sur le « développement de la lecture pour enfants » : cf.  extrait de notre rapport d’activités 2008 : « Chantier en 2009, projets, section 5 », p.53. reproduit en page suivante.